Séoul. Vous descendez la petite rue d’un quartier étudiant, fast-food, librairies, électronique, internet, musique, drapeaux. Derrière vous, la grande avenue et ses huit files de circulation automobile. Densité urbaine, congestion, ville d’Asie. Tout est vrai.
Et au débouché de la rue, une vaste esplanade offrant en arc de cercle un paysage de collines arborées de bâtiments d’époques diverses, du faux gothique anglo-saxon de la fin du XIXème siècle à des édifices plus modernes : c’est le campus de EWHA, la plus grande université de filles du monde, plus de 20.000 jeunes filles, l’excellence pour la société coréenne.
Devant vous une vallée large de 20m, longue de 250m. Dallée de pierre, elle descend en pente douce, puis remonte vers la colline par de larges escaliers à la Potemkine. A droite et à gauche, sur ces crêtes, des chemins serpentent entre buissons et massifs fleuris. Vous descendez… les bruits de la ville s’estompent… vous êtes entre deux hautes parois de verre (jusqu’à 17m de haut au plus profond), rythmées par des ailerons de métal. Derrière les façades vitrées, une intense circulation sur plusieurs niveaux. Visiblement, les falaises sont habitées.
Vous montez les escaliers, vous vous retournez vers la vallée, qui oriente le regard vers la silhouette des gratte-ciels de Séoul.
Vous venez de traverser un bâtiment de 70.000m2, le plus grand du campus, mais vous ne percevez qu’un paysage.
CONTEXTE / COMMANDE / CONCOURS
L’université de femmes d’EWHA, créée en 1886 par une missionnaire Américaine, est la plus importante du Pays. En 2002, elle organise un concours international pour un nouveau bâtiment.
Un concept nouveau, un bâtiment où doivent coexister salles de cours et espaces de vie, des espaces publics, un gymnase, des cafés, des boutiques. Rigoureux pour les espaces « pédagogiques » mais généreux et ouvert pour favoriser échanges et rencontres, dans un espace protégé de la chaleur de l’été ou du froid de l’hiver coréen : un programme complexe de 70.000 m2.
Mais le nouveau bâtiment est chargé d’une autre ambition. Situé entre les bâtiments les plus anciens et au débouché d’une rue, il doit remplacer un terrain de sports et marquer l’entrée du campus, constituer une distribution claire vers les autres bâtiments.
L’enjeu d’architecture se double d’un enjeu urbain. C’est tout un territoire qu’il faut reconfigurer.
En 2003, 3 finalistes s’affrontent : FOA, Zaha Hadid et Dominique Perrault qui sera le lauréat
L’ARCHITECTE
Lauréat du plus grand chantier public jamais lancé en France, la Bibliothèque Nationale de France, alors qu’il n’avait pas 40 ans, c’est un architecte qui aime les grands projets : Le vélodrome et la piscine Olympique à Berlin, La Cour Européenne de Justice à Luxembourg (qui vient d’être inaugurée). C’est un passionné d’art contemporain.
J’ai une certaine défiance vis-à-vis de l’architecture qui consiste à dire : « Je dessine donc je suis »
D. Perrault
Je dessine des bâtiments mais je dessine des villes, tout se dessine et, ce qui se dessine, c’est quelque chose dont je suis maître. Faux ! Moi, je pense : « Faux, ça ne marche pas. ». Je me retourne vers ce qui a été un des grands éléments de transformation de la deuxième moitié du XXe siècle, c’est que l’art contemporain déclare que l’art est mort. Ça ne veut pas dire que l’art a disparu. Au contraire, il n’a jamais été plus florissant qu’après sa mort.
La résurrection de l’art est quelque chose d’absolument énorme. Dans cette attitude de défiance vis-à-vis de l’architecture, il y a une formidable source de réinterprétation et aussi de tentative qui est de chercher ce qui est le plus juste, le plus précis, le plus petit. L’élément à partir duquel on pourrait retrouver, réinterpréter, utiliser l’histoire, utiliser notre culture, utiliser ce que l’on sait mais le réinterpréter au travers d’un filtre qui est un filtre émotionnel, qui est un filtre de perception. »
DISPARITION, ENFOUISSEMENT
Le choix est radical : là où aurait pu se dresser une tour carrée de 7 étages de 100 mètres de base, l’architecte a choisi de loger le programme dans deux volumes enfouis de part et d’autre d’une large entaille.
Puis il a recouvert les deux volumes de terre. Des jardins y ont été créés. Le bâti disparaît. « La façade, ce sont les jardins » dit D.Perrault.
La vallée n’est pas une faille naturelle, un canyon, un creux entre deux collines. C’est le vide qui manifeste l’existence des deux bâtiments enfouis en vis-à-vis et recouverts de jardins.
C’est le creux qui manifeste le plein.
Le vide devient un matériau de l’urbanisme, un matériau de l’architecture. Les objets architecturaux ne sont que des éléments qui viennent donner une densité, une présence, une qualité, au vide. C’est le vide qui crée les liens. C’est le vide qui assemble les quatre angles de la bibliothèque. C’est le vide qui crée aussi l’interaction entre les différentes parties du quartier. C’est le vide qui permet à la passerelle d’arriver sur l’esplanade de la bibliothèque. La bibliothèque, c’est le vide, et les quatre angles ne sont que la présence, la matérialisation de ce vide qui est une espèce de bien public. Quelque chose qui est donné à tous, qui est perceptible par tous et que tout le monde peut s’approprier
D. Perrault
COMMENT VIVRE SOUS TERRE ?
C’est d’abord bien sûr la question de la lumière qui se pose.
Elle rentre généreusement par les façades vitrées du canyon, éclairant les coursives qui courent le long des parois et qui desservent une première rangée de salles de cours, de bureaux ou la bibliothèque.
Mais les murs sont des parois de verre habillées d’un motif simple : de petits ronds blancs de 1cm de diamètre. Une trame qui progressivement s’espace au fur et à mesure de la hauteur (à partir de 1,80m, au dessus de la hauteur des regards, il n’y a plus de pastilles blanches). L’effet est d’une simplicité extrême : préservant l’intimité de chaque salle par une trame diffuse et laissant passer la lumière. Un effet optique, mais qui favorise l’entrée de lumière dans chaque bâtiment, puisque la vallée est orientée vers le Sud : chacun des côtés est assuré de jouir de la meilleure exposition le matin ou l’après-midi.
La lumière pénètre jusqu’à la deuxième rangée de salles de cours desservies par un deuxième couloir. La lumière devient une référence, plus qu’une source. Tout le monde voit le jour, derrière 1, 2, ou 3 parois vitrées tramées de blanc.
Les boutiques sont au rez-de-chaussée, le gymnase également. La bibliothèque au premier étage.
Les salles de cours et les bureaux se partagent le reste des 2 bâtiments.
A chaque extrémité de la vallée, sous la pente et l’escalier, les grands équipements : une place publique, un théâtre, le parking.
Escaliers, ascenseurs, parfois des connexions directes avec les bâtiments plus anciens situés sur le pourtour.
DE LA REPETITION
Les façades de verre et de métal des 2 ailes qui se font face à face, sont de purs objets géométriques. Elles sont l’aboutissement d’un long processus d’ingénierie et de calculs. Leur autonomie formelle leur confère des qualités de machine optique, créant reflets inversés, décomposition du mouvement, le tout grâce à la matérialité du métal, des écrous, des contreventements.
A l’origine, les meneaux d’aluminium devaient être à l’intérieur du bâtiment. Mais les calculs de résistance au vent (et aux typhons) ont fait apparaître la nécessité de renforcer les meneaux par des ailerons d’acier. Ils devaient être joints par des rivets dans la masse pour donner l’impression que ces contreventements étaient faits d’une seule pièce. Cela s’est révélé impossible. Et finalement, ils ont dû mettre en place des plaques boulonnées. Dans l’immensité de la façade, ces plaques et les boulons sont de minuscules éléments, qui semblent placés au hasard. Ils ne perturbent en rien le grand effet de la façade de verre. Ils constituent un élément plastique qui donne à voir les forces mises en jeu.
Le verre et la forte présence du métal créent une lumière unique au creux de la vallée, une vallée de métal et de reflets qui s’exacerbe quand tombe la nuit.
DU RENOUVELABLE
Le premier effet « vert » de ce bâtiment est de créer un jardin de 10.000m2 (les couvertures des 2 ailes construites), autant de gagné sur la production de chaleur en ville que sur la pureté de l’air.
Dans un pays où les précipitations peuvent être très importantes en un temps court (conditions de typhon) le sol planté permet une absorption et une meilleure régulation sur un temps long de l’absorption de l’eau.
La création de la coque de béton qui retient la pression du sol de chaque côté a permis de mettre en place une stratégie de régulation thermique en utilisant la circulation de l’eau autour du bâti.
Cela a permis dès la première année d’économiser plus de 20% dans la production de chaleur ou de froid dans le bâtiment.
POUR CONCLURE
Laissons parler l’architecte.
J’ai toujours considéré le mouvement moderne comme un mouvement extrêmement puritain
D. Perrault
Avec la notion de pilotis, je ne touche pas le sol. Je pose toujours les éléments par rapport à une structure qui me sépare du sol. Comme si le sol était un élément de souillure. Comme si le sol était quelque chose qui est la matrice mère presque, et sensuelle de l’homme. Lorsque Tournier écrit Robinson Crusoë, Robinson Crusoë fait l’amour avec la terre. Il ne fait pas l’amour dans l’air. Donc, pour moi, la notion de terre est quelque chose qui permet d’aller au-delà du puritanisme du mouvement moderne et d’introduire une relation qui n’est pas seulement une relation de géographie – et d’histoire parce que nous venons de cette terre, nous avons habité dans cette terre – mais aussi une relation de retrouver, au cœur de la terre, cette espèce de possibilité de création de lieux inédits, de lieux qui paraissent obscurs mais dans lesquels on découvre une lumière fantastique, de lieux qui paraissent fermés mais qui sont doués d’ouverture. »