Maîtrise d’ouvrage : Académie des Beaux-Arts de Chine
Maîtrise d’œuvre : Amateur Architecture Studio, Wang Shu et Lu Wenyu (Chine)
Livraison: 2015
Surface: 5 000 m2
Lieu: Hangzhou (Chine)
Voir aussi : Le documentaire « La maison d’hôtes Wa Shan«
Vernaculaire contemporain
EXTRAITS : «VERNACULAIRE CONTEMPORAIN», SÉQUENCES BOIS, N°113 (2017), PP. 17-19.
En associant bois, béton, acier et matériaux vernaculaires trouvés in situ, l’architecte chinois Wang Shu livre un bâtiment militant en rupture avec l’urbanisation effrénée qui caractérise son pays. Sur le campus de Hangzhou, la maison d’hôtes Wa Shan joue volontairement avec l’ambiguïté de ses limites, entretenant un rapport très fort avec la montagne et la rivière qui l’encadrent.
Pritzker Prize inattendu en 2012, Wang Shu est un architecte engagé et à contre-courant de l’urbanisation galopante de son pays natal qui sacrifie massivement son patrimoine. À environ 200 km au sud de Shanghai, la ville de Hangzou a connu un développement très rapide. La métropole s’est imposée comme la capitale culturelle du pays. Sur le campus qui rassemble 6 000 personnes, Wang Shu a déjà réalisé quelque 25 bâtiments. Il manquait néanmoins un lieu pour accueillir les visiteurs extérieurs tels que les chercheurs et enseignants étrangers ou les familles des étudiants. La maison d’hôtes Wa Shan (littéralement, «la montagne de tuiles») vient combler ce manque programmatique en s’installant dans un site qui va dicter le parti architectural.
«Un bâtiment qui existe par son paysage», fidèle à la philosophie défendue par Wang Shu qui a notamment conservé les quatre peupliers présents sur le terrain. Entre les deux éléments sacrés en Chine que sont la rivière et la montagne, le bâtiment s’étire le long de l’eau sur 120 m de long et 5 000 m2 d’emprise au sol, sans que jamais l’impression de monumentalité ne se fasse sentir. Et pour cause, l’architecte a opté pour une fragmentation à l’excès et l’absence de façades conventionnelles au profit de décrochés et de terrasses.
Afin de mettre en lien la rivière et la montagne, une trentaine de murs parallèles orientés nord-sud dont certains désaxés posent le premier jalon fondateur du bâtiment, affirmant la perméabilité avec l’environnement naturel plutôt qu’une position d’enclos.
Entre les parois s’insèrent des cours intérieures et des bassins ainsi que des éléments pleins qui abritent les fonctions programmatiques : une maison de thé, le centre de conférence, un restaurant et les différents hébergements. En se développant à l’horizontale d’est en ouest, la maison d’hôtes revendique une posture de résistance alors que la verticalité fait rage autour. Le bâtiment est appréhendé comme une déambulation architecturale, afin de favoriser les échanges entre ceux qui le parcourent. Il n’y a pas une mais 14 entrées possibles, 7 liaisons transversales et autant de possibilités de cheminement et de rencontres.
Partiellement construit en terre, le bâtiment associe des murs en pisé de 60 cm d’épaisseur et des poteaux de béton pour garantir la stabilité et répondre aux normes parasismiques.
Entre les murs et la charpente, une structure métallique crée un niveau supplémentaire tout en décollant la toiture qui semble ainsi flotter. Pour réaliser la couverture, Wang Shu a convoqué l’un de ses souvenirs, celui d’un village où une centaine de maisons paysannes partageaient le même toit.
Pour la Wa Shan, il a mis en place le même dispositif sous la forme d’une grande toiture unificatrice de 120 m de longueur au-dessus duquel un escalier permet de circuler. La très belle charpente se donne à voir en sous-face au travers d’une typologie constructive atypique et expressive. Des milliers d’entretoises de mêmes dimensions sont assemblées de manière à fabriquer une canopée autoportante dissimulant une structure en acier. Ainsi le dispositif autorise-t-il de larges portées sans qu’un seul pilier ne vienne perturber l’espace situé au-dessous. La charpente a été réalisée avec des éléments en pin, assemblée à la main avec des vis standard, dans l’esprit low tech qui caractérise ce bâtiment.
Privilégier la proximité La maison d’hôtes Wa Shan est avant tout un projet politique. Parti en guerre contre les cimentiers et bétonneurs qui selon lui, massacrent son pays, Wang Shu a ici privilégié les filières courtes et les ressources locales. L’architecte chinois exprime ici sa propre vision du développement durable, avant tout empreinte de bon sens. Face à la dynamique constructive effrénée qui entraîne la Chine, il a choisi pour ce projet de travailler avec des matériaux trouvés à proximité du site.
Dans les quartiers voisins, avec l’aide de ses étudiants, il a ainsi récupéré des briques et des jarres de vin jaune. Matériau principal du projet, la terre utilisée provient directement du terrain où le bâtiment est construit. Hauts de 15 m, les murs en pisé sont réalisés grâce au travail artisanal des hommes qui ont pilé et damé à la main ce matériau naturel très peu utilisé en Chine.
Les tuiles de la toiture proviennent des quelques maisons de paysans qui occupaient le site auparavant. Elles ont simplement été récupérées et nettoyées. Les matériaux pauvres convoqués ici ne sont pas nécessairement parés pour résister au temps mais très aisés à remplacer. Le bâtiment rend ainsi hommage aux techniques ancestrales chinoises tout en offrant une réponse aux problématiques environnementales actuelles.
Wang Shu a étudié l’architecture à l’université du sud-est à Nankin, avant un doctorat en architecrure à l’Université Tongji deShanghai en 2000. Il a créé son agence, Amateur Architecture Studio, avec sa femme Lu Wenyu en 1997 à Hangzhou, où il est également directeur du département d’architecrure de l’École supérieure des Beaux-Arts depuis 2003.
Leurs projets ont été diffusés à travers le monde dans de nombreuses revues et expositions tels que «Alors la Chine?» au Centre Pompidou en 2003, « Positions» en 2008, «Architecture as Resistance» au Bozar à Bruxelles en 2009. Ils lui ont valu plusieurs distinctions dès 2003 en Chine, mais aussi à l’étranger, parmi lesquelles le Global Award for Sustainable Architecture en 2007, la Grande médaille d’or de l’Académie d’architecture en 2011, et le prix Pritzker en 2012.
Après avoir passé les années 1990 sur les chantiers à apprendre les techniques traditionnelles auprès des artisans, il a réalisé plusieurs projets, surtout des équipements culturels, dans lesquels il fait preuve d’une approche sensible et poétique du savoir-faire constructif tout en utilisant un vocabulaire architectural très contemporain :
- Bibliothèque du collège Wenzheng à l’université de Suzhou (2000) avec Tong Ming
- Musée d’Art contemporain de Ningbo (2005)
- Five Scattered Houses à Ningbo (2006)
- Jardin des tuiles à la 11e biennale de Venise (2006)
- Maison de la céramique dans le parc de Jinhua (2007
Au-delà des techniques constructives, ce sont aussi les formes et les usages traditionnels qu’il souhaite réinterpréter dans ses projets, afin de recréer une continuité, souvent perdue en Chine, avec la tradition :
tours d’habitation (2006) et rénovation de la rue Zhongshan (2009) à Hangzhou, pavillon Tengrou-Ningbo à l’Exposition universelle de Shanghai (2010).
Ses projets illustrent un souci permanent des relations entre l’édifice, le paysage et la nature. Wang Shu se compare volontiers à un peintre classique : Campus Xiangshan de l’École supérieure des Beaux-Arts à Hangzhou (2004-2007), Musée d’histoire de Ningbo (2008). Pour la réhabilitation des friches portuaires de Zhoushan, il a invité d’autres lauréats du Global Award à coopérer avec lui.
Il démontre l’attention qu’il porte au site, à son hisroire, à ses usages antérieurs ainsi que son choix de réemployer des matériaux déjà utilisés.
Pour finir, voici notre agence, nos jeunes collaborateurs. Bâtir avec nos mains, en utilisant des matériaux recyclés, sont des expériences qui ont complètement renouvelé mes conceptions de base sur l’architecrure et mes pratiques sur le terrain. Tous ces changemems sont intervenus en moins de vingt ans, depuis que j’ai commencé à creuser ce sillon.
À mes yeux il existe deux sortes d’architecture, celle qui tient compte de l’existant et celle qui n’en tient pas compte. L’atmosphère qui en résulte est fondamentalement différente. La base de ma pratique, c’est le travail à la main : chaque jour j’écris, je m’exerce à la calligraphie et je dessine à la main. L’orientation que nous recherchons, les perspectives qui s’ouvrent, pour moi, c’est cela. Ma conception de l’architecture, c’est cela : une architecture nouvelle, mais dans laquelle vous retrouvez des choses que vous reconnaissez, qui existaient déjà, et non pas juste une nouvelle architecture.
Conclusion de la leçon inaugurale de l’École de Chaillot prononcée par Wang Shu le 31 janvier 2012.